Textes du catalogue

L'art de tout temps a été lié aux progrès techniques. Aujourd'hui, le potentiel des nouvelles technologies attire plus que jamais des artistes à investir les extraordinaires possibilités de l'ordinateur. Mais l'ordinateur est à la fois un outil comme les autres et très différent. Il a bien sûr ses contraintes et ses améliorations progressives, mais il possède aujourd'hui, une telle puissance de gérer des données différentes - physiques, sensorielles ou plus conceptuelles comme le texte, l'image ou le son - qu'il devient essentiel à la création contemporaine comme il l'est devenu depuis longtemps à la recherche scientifique.

L'arrivée sur le marché "grand public" de machines dont les performances approchent, ou même dépassent, celles de gros systèmes informatiques, réservés jusqu'alors à certaines grandes université, a modifié considérablement la "création artistique" pratiquée avec l'ordinateur. L'accessibilité de ces gros systèmes n'avaient fait éclore que quelques créateurs proche du film d'animation commercial, de génériques de télévision ou à l'usage des arts appliqués. Aujourd'hui, la technologie a mis la puissance des gros systèmes informatiques au niveau d'un outil personnel, d'un ordinateur individuel. Ce rapport entre un outil à la fois efficace et personnel a considérablement changé l'intérêt des artistes venant d'horizons multiples. Ce ne sont plus seulement les "mordus" de l'informatique mais aussi, des photographes, des plasticiens, des artistes vidéo qui se servent aujourd'hui de l'ordinateur.

En poursuivant le développement d'activités dans les domaines de la vidéo et de la photographie et en ouvrant, il y a 18 mois un atelier de création infographique, Saint-Gervais Genève propose de faire découvrir dans cette première exposition Version 1.0 Art/image et ordinateur, une dizaine d'artistes européens.

Ce qui nous a surpris dans les propositions des artistes contactés, c'est l'étonnante diversité des attitudes que suscite ou que révèle l'ordinateur. L'outil est parfois présent dans la pièce mais parfois son utilisation est dans le traitement d'une classification ou dans l'élaboration d'une combinaison plus ou moins aléatoire, et qui se présentera finalement, sous la forme d'une édition classique. La multiplicité des résultats révèle un univers complexe: une computation de signifiants qui nous plongent parfois dans l'ironie, parfois dans le calcul réaliste et parfois dans le monde sensible et poétique d'un auteur. Peut-on espérer mieux des ordinateurs?

André Iten et Jacques Boesch



Plus nos connaissances augmentent, plus le monde se révèle complexe. Loin du rêve technicien d'une technologie qui résoudrait tout et qui permettrait d'atteindre une perfection, les nouvelles expériences qu'engendre le progrès changent surtout notre rapport au monde et posent donc à chaque fois de nouveaux problèmes. Les applications du progrès étendent concrètement et intellectuellement les limites du monde fini dans lequel nous sommes; notre perception du temps et de l'espace, notre relation aux choses s'en trouvent conséquemment modifiées. Plutôt que de rechercher une compréhension de ces transformations par un regard pragmatique, analytique ou explicite, il est passionnant de se pencher sur la démarche et le travail des artistes contemporains.

Pendant que certains rêvent d'avoir des outils perfectionnés, une meilleure résolution de l'image, de plus grandes vitesses de calcul, certains artistes sont au contraire séduits, passionnés par leur état du moment. Ils préfèrent procéder par décalages subtils, pousser les limites des outils à leur portée avec une conscience aiguë. Une texture synthétique, des caractères en escalier, une trame grossière ont aussi leur intérêt et ils ne sont pas à prendre nécessairement comme des défauts. La puissance potentielle des caractéristiques propres à chaque outil peut être développée, travaillée comme une matière, de sorte à ce qu'elle réponde adéquatement aux sens de l'oeuvre.

C'est sans doute pourquoi les artistes de cette exposition ne produisent pas exclusivement avec le même outil, mais qu'ils se tournent vers de multiples techniques, qui leur servent de cas en cas à exprimer au mieux leurs intentions. Ils préfèrent travailler avec des machines simples dont ils peuvent disposer avec une grande liberté, plutôt qu'avec des techniques qui seraient trop complexes pour être gérées de manière autre que superficielle. Ils traitent, biaisent les règles et les programmes, réinventent, démontent ces notions déjà débattues, liées à ce que l'informatique est: mémoire, ordre, logique, précision, mais aussi pouvoir, puissance, accessibilité ou interaction. De la sorte ces artistes ouvrent de nouvelles portes et proposent d'autres conceptions du monde; ils créent de nouvelles pièces qui restent à définir. Dans ce sens, leur attitude dépasse largement les enjeux liés aux mutations qu'apporte l'informatique, cela concerne l'individu face au monde qu'il crée et recrée sans cesse.

Simon Lamunière



OEUVRES EXPOSEES:


Patrice Baizet (F): De la tête aux pieds
Sur la base d'un humour tranchant, cette pièce interactive permet au spectateur d'éprouver sa tendance aux jeux innocents du sadisme

Claude Closky (F): Frises
Réalisée au stylo, cette série de 40 dessins pousse à l'extrême ce que l'écolier réalise en s'ennuyant: remplir par des combinaisons du papier quadrillé.

Frank Fietzek (D): Tafel
Plutôt que de voir des images en mouvement, il s'agira ici de déplacer soi-même un écran. C'est alors seulement que les images changeront.

Claude Gaçon (CH): Information, déformation, identification
Collectionneur de boules, billes, balles, ballons ou de tout autre objet dont la forme se rapprocherait de cette notion, Gaçon propose de les classer, de les ficher. Ceci permet de les ordonner en fonction de certains critères. Quels sont ces critères, et comment ordonner, là et tout le propos.
Oeuvre coproduite par Saint-Gervais Genève

Hervé Graumann (CH): Raoul Pictor cherche son style...
Comme de coutume, Graumann exploite les machines à son compte. Que se soit pour leur faire classer des couleurs, décomposer des images ou produire des peintures, on est plus très sur de qui fait quoi.

Jochem Hendricks (D): Zeitung
Des lunettes qui enregistrent les mouvements des yeux ont permis à Hendricks de réaliser des dessins qui ne sont qu'une trace de ce qu'il a vu et de comment il l'a vu. Dans cette exposition nous pourrons voir un journal qu'il a "lu" de cette façon.
Oeuvre coproduite par Saint-Gervais Genève

Geert Mul & Leon Dekker (NL): The Big Picture
Leurs images sont synthétiques mais nous rappellent des espaces normaux. Ce sont toutefois des espace d'exposition fantaisistes, dont les oeuvres et l'accrochage ouvrent le monde du tout-possible.

Nathalie Novarina (CH): Out of the way
Par renvois successifs, la mise en abîme de cette série de 9 images, a été réalisée à partir de photos, entièrement retravaillées sur ordinateur.
Oeuvre coproduite par Saint-Gervais Genève

Manfred Stumpf (D): Angeline
Un peit ange-cosmonaute passe dans un bureau. Cette petite animation, n'est vouée à exister que lorsque l'ordinateur est allumé mais pas utilisé. Réalisée pour tout ordinateur personnel, elle fonctionne comme un screen saver de type "After Dark".
Oeuvre coproduite par Saint-Gervais Genève

Jean-Louis Boissier (F): Flora Petrainsularis
L'installation associe un cahier fait d'extraits des Confessions et de d'images de plantes cueillies sur les lieux mêmes de l'herborisation de Rousseau en Suisse, et un "cahier virtuel" qui en est le le prolongement, à "feuilleter" sur l'écran par le va-et-vient d'une image à l'autre.

VIDEOS:


Thomas Bayrle (D)
Ces vidéos évoquent l'espace fini du monde dans lequel nous sommes. Les seules limites que nous pouvons franchir sont d'ordre imaginaire, représentatif ou virtuel.

Matt Mulican (USA)
Inventeur de pictogrammes qui symbolisent les activités du genre humain, Mullican a créé une ville synthétique en 3D dans laquelle on se déplace comme les éléctrons dans une machine.

Tamás Waliczky (H)
A chaque fois Waliczky se (nous) demande de quoi l'image est faite, comment se comportent entre eux ces éléments que les machines peuvent produire.